Création / Première Française      Chaillot - Théatre National  de la Danse 

du 10 au 24 Mai 2017

Le Malandain Ballet Biarritz a reçu en 2017  le Prix de la "Meilleure compagnie" pour "Noé", décerné par l'Association professionnelle de la critique de

 

Thêatre, Musique et Danse.

NOÉ PAR LE MALANDAIN BALLET BIARRITZ – E LA NAVE VA …

 Concert Classique

 Jacqueline Thuilleux  

 

Il y a les hommes, et il y a les individus, qu’ils soient héros, prophètes, ou comme vous et moi. Tout au long de Noé, surprenante fresque animée que Thierry Malandain fait jaillir du plus profond de lui-même, l’opposition se dessine, parfois se comble, reprenant subtilement la vieille structure corps de ballet-solistes, marquant bien qu’il y a des élus, des damnés et d’humbles mortels poussés vers leurs destinées par ces moteurs séduisants ou pervers. Bien évidemment, Thierry Malandain, toujours avec sa  troupe biarrote, n’a pas tenté de suivre pas à pas l’écrasante Genèse, à laquelle il emprunte quelques idées fortes pour s’élever vers une abstraction dont le caractère plastique dit combien la beauté, et en l’occurrence la beauté du geste, peut être porteuse et salvatrice.

 

Car elle est là, à tous les instants, cette beauté qui imprègne les attitudes, très dessinées, dès l’ouverture sur le trio de Cain, Abel et Seth, et le meurtre sacrificiel qui se répétera pour finir, après une longue avancée vers l’espoir et l’amour, car, dit Malandain, « je suis un incorrigible pessimiste, et il y a toujours quelqu’un qui va faire basculer les choses ».

Le résultat, on l’a dit, est abstrait. Et si Adam et Eve, eux très reconnaissables à leur nudité, apparaissent après Noé, c’est qu’ils renaissent à une deuxième vie, après la grande épuration du déluge. Epuration et surtout épure, d’ailleurs.

On est pris, surpris par cette étrange ascèse biblique, et secoués par des séquences totalement géométriques, comme sur une fresque romane, ou les danseurs font glisser leur mouvement de l’un à l’autre, en une chaîne d’identité commune, ou par des épisodes de saccades primitives. Ce n’est plus un corps de ballet, c’est un chœur de ballet, comme dans les Passions de Bach. Moments très structurés, cadrés dans une sorte d’immobilité globale,  qui alternent avec des épisodes vivants, agités, voire transportés, où l’histoire s’esquisse dans ses diverses péripéties tragiques ou heureuses.

 

Des animaux, dans cette histoire d’hommes ? Il y en a deux, esquissés en couleurs symboliques, la blanche colombe qu’incarne la sublime Claire Lonchampt, aux lignes aussi pures qu’une aile d’oiseau, et par le noir corbeau que campe Hugo Layer, un danseur formé au CNSM de Paris et qui séduit par la rigueur de son tracé gestuel et l’ample et expressive largeur de ses bras, digne d’un dessin de Léonard de Vinci. Et il y a de belles figures, dures ou tendres, du puissant Frederick Deberdt, l’un des porte flambeaux de la compagnie, à l’élégant Noé de Mickaël Conte, sans parler du délicieux couple, Daniel Vizcayo -Patricia Velazquez, en Adam et Eve, les seuls qui soient à notre portée immédiate.

  

Signée Jorge Gallardo, une vague bleutée, aquatique bien évidemment, nappe la fresque. Mais il faut insister sur l’importance de la musique, qui joue un rôle majeur dans cette aventure, comme dans tout ballet d’ailleurs de Thierry Malandain. Car le chorégraphe est littéralement habité, porté par elle, et cette Messa di Gloria, de 1820 (ici dans l’enregistrement de l’Academy of St Martin in the Fields et Sir Neville Marriner) , et qui n’est pas le plus grand titre de … gloire… de Rossini, lui tient au cœur depuis une trentaine d’années.

 

La pièce ne laisse pas de surprendre par son caractère violemment démonstratif, agressivement romantique tout en se raccrochant à des structures traditionnelles, et on l’imagine mal sous les voûtes recueillies d’une église. Elle semble à la fois hommage et rébellion à des diktats, un peu comme ce que veut nous dire Malandain dans ce Noé où se révèle la force de ses espoirs et de ses désespoirs, dans un beau langage châtié qui dit bien sa personnalité à la fois passionnée et réservée.

 

Jacqueline Thuilleux  

Concert Classique 

 

 

 

 

Création mondiale : « Noé » de Thierry Malandain

A Chaillot - Théâtre National de la Danse, le ballet du CCN de Biarritz surprend avec une pièce sobre et tellurique. 

Danse Canalhistorique -Thomas Hahn

 

Avec Noé, Thierry Malandain change de registre, de style, d’approche…  Si le titre, avec sa référence à un personnage tragique, se place dans la continuité des ballets romantiques, le directeur du CCN de Biarritz vient de créer un ballet bien moins narratif que ses succès récents, Cendrillon et La Belle et la Bête.

Malandain change de cap

En se penchant sur l’épisode biblique du Déluge, Malandain signe une pièce qui n’est ni abstraite, ni narrative et aborde la montée des eaux comme un passage, une purification ou un rite. Dans Cendrillon, il avait trouvé un conte avec lequel il a su s’amuser dans un esprit très ludique. Sur La Belle et la Bête [lire notre critique],  il avait su poser un regard avisé, porté par une réflexion profonde qui a amené le chorégraphe-metteur en scène à un jeu de dédoublement complexe et profond.

Dans Noé, Malandain va droit au but et dessine des lignes claires, directes et collectives. Des principes chorégraphiques à la scénographie et aux costumes, la sobriété contraste avec ses créations précédentes. Le changement saute à l’œil, mais il vient de l’intérieur. Car le renouveau n’est ici pas seulement l’objet du récit, il est l’énergie même qui porte Noé. L’enjeu n’est pas un drame personnel ou intime, mais l’avenir collectif. C’est pourquoi Malandain place le corps de ballet au centre de la pièce. Noé est certes le premier entre tous, mais il fait partie de la communauté des pénitents et se fond dans cette humanité qui reste unie du début à la fin.

L’eau, la terre et le ciel

Qui dit Noé, dit : Déluge. Qui fait danser sur Messa di Gloria de Rossini, pense à la pureté et au ciel. Pourtant, ce ballet est placé sous domination tellurique, jusque dans ses costumes sombres, de couleur terre, forêt ou boue. Les danseurs plient les genoux et les bassins sont plus proches du sol que jamais chez Malandain. Sur cette humanité pèse le poids accumulé des fautes morales et de la défaillance. Et l’écriture de Malandain, connue pour son humour, ses facéties, son autodérision et sa légèreté joyeuse, accomplit la transformation, déjà à l’œuvre dans La Belle et la Bête.

Quarante jours de pluie déversent des eaux boueuses. Pourtant, la scénographie de Jorge Gallardo est lumineuse. Ces rideaux de pluie turquoise qui entourent la scène comme pour la baigner portent en eux la promesse du recommencement, la lueur presque spirituelle d’une baie ensoleillée. De la charge tellurique de l’inondation, le poids intégral repose sur les épaules des danseurs. Et les chaînes humaines se transforment en vagues.

Mais deux oiseaux survolent littéralement la scène. Claire Lonchampt passe du rôle de la Belle à celui de la Colombe, pour imposer sa ligne élancée et sa présence diaphane. Hugo Layer en noir lui est un merveilleux partenaire en Corbeau. Mais ce sont là les seules évocations concrètes de la faune qui peuple l’Arche, même si quelques pas spasmodiques peuvent rappeler la marche de certains bipèdes non humains.

Un renouveau et des doutes

Dans sa sobriété, la scénographie respecte une symétrie parfaite. Noé est donc une pièce « ni de droite, ni de gauche », un ballet qui parle d’une mue, d’une sortie de crise et qui se termine sur un avertissement: Le renouveau risque d’être trompeur! Une pièce donc, comme si elle était pensée pour résumer l’état actuel du pays, avec ses espoirs et ses écueils.

De la crise morale évoquée dans Noé, l’humanité sort purifiée, prête pour un nouveau départ. Mais déjà, la scène du début entre Caïn, Abel et Seth, tableau de lutte et de meurtre, ressurgit tel un mauvais souvenir, une prémonition, comme un de ces démons intérieurs qui minent l’inconscient. C’est par ailleurs la première fois qu’on voit le directeur du CCN de Biarritz chorégraphier un combat de façon concrète.

Où va le Malandain Ballet Biarritz ? Faut-il voir Noé comme une pièce de transition, comme l’annonce d’un changement de style durable ou comme une excursion temporaire ? Ce récit d’une rupture dans le récit biblique se double-t-il d’une césure dans l’œuvre de Malandain ? On le sait humble et lucide, et sans doute se met-il en garde lui-même en rappelant, en guise de conclusion de Noé, que le renouveau ne garantit pas le progrès.

 

Noé n’est pas une messe

L’austérité de Noé ne vient de l’absence d’Arche ou de représentation animale, mais d’une uniformité certaine et de la difficulté à établir un vrai dialogue entre une musique baroque et l’humilité chorégraphique affichée. Dès les premiers tableaux d’ensemble, l’esprit de la Messa di Gloria avec ses chœurs et ténors entre en contradiction frontale avec la sobriété du propos chorégraphique. Cette œuvre de Rossini se suffit à elle-même, elle se met en scène avec tant de puissance qu’il est vain de vouloir lui confier une humanité de pénitents ou une communauté tribale. La pièce de Malandain n’entend glorifier rien et personne, comme le montre sa fin, pleine de doutes.

 

« On peut aussi imaginer faire de Noé un être humain collectif montant dans l’Arche de lui-même, pour liquider une existence  passée et repartir de zéro en allant puiser de nouvelles énergies dans les abysses de son être », écrit Malandain. Aussi voit-on sans cesse des couples se former et se séparer, comme si tous étaient Noé et Emzara ou Adam et Eve, avant de se fondre dans une nouvelle danse collective, solidaire et tellurique qui ferait plutôt appel à Carl Orff qu’à Rossini et n’est pas sans mettre un pied sur le terroir chorégraphique labouré par un certain Cherkaoui.  L’univers de Noé reste étranger à cette messe, cette glorification, ce baroque dévoué et pesant. Rien de plus normal: On n’est pas à la même époque, ni dans les mêmes cadences.

Thomas Hahn

Danse Canalhistorique

Vu le 10 mai 2017, Chaillot - Théâtre National de la Danse

 

L’heureux déluge de Malandain

Marie Soyeux,

La Croix 

Noé, nouveau ballet de Thierry Malandain, construit une arche d’humanité pour 22 danseurs inspirés.

 

Avec Noé, le chorégraphe Thierry Malandain s’est mis en quête d’« une danse qui ne laisserait pas seulement la trace du plaisir mais renouerait avec l’essence du sacré comme une réponse à la difficulté d’être ». Ce n’est pas une surprise. Ses créations, même lorsqu’elles revisitent des contes, comme dernièrement La Belle et la Bête, palpitent d’une profonde spiritualité

On lit le désir parfois rayonnant, parfois tourmenté d’un état de grâce. Chez lui, le danseur évoque souvent le « dieu tombé qui se souvient des cieux » de Lamartine. Cette dimension spirituelle est particulièrement sensible dans Noé.

Noé « incarne une sorte de rupture dans l’histoire de l’humanité »

 

Cela s’explique, bien sûr, par son sujet, même si la pièce n’est pas une illustration du récit de la Genèse – auquel il emprunte surtout sa force symbolique (on y trouve ainsi très peu d’animaux). « Noé n’avait encore jamais inspiré de ballet. Je lui trouvais une grande actualité. Il semble parfois que le monde n’en peut plus, on souhaiterait presque la venue d’un personnage providentiel. »

Tel est pour lui Noé, qui « incarne une sorte de rupture dans l’histoire de l’humanité », « un nouvel Adam » sorti des eaux. Il n’en fait pas un guide charismatique et omniprésent. Au contraire, le danseur qui l’interprète ne se détache que rarement et humblement du groupe. Noé devient un « être humain collectif montant dans l’arche de lui-même, pour liquider une existence passée et repartir de zéro ».

Une montée des eaux suggérée par un rideau bleu

La pièce commence dans la violence : le mur se constelle de traces sanglantes tandis que se joue le premier meurtre de l’humanité, celui d’Abel par Caïn. Noé rassemble les danseurs sur un très long banc, courant sur presque toute la largeur de la scène, tandis que le bleu envahit le mur, contamine le sol. La montée des eaux est suggérée par celle, presque imperceptible tout au long de la pièce, d’un rideau bleu enserrant les danseurs.

 

Ce déluge apparaît cependant plus heureux que cataclysmique. Une impression renforcée par la musique – la Messa di Gloria de Rossini, aux couleurs vives et envolées vibrantes. « J’ai d’ailleurs dû contrecarrer cette musique si entraînante, si XIXe siècle, qui m’empêchait de trouver mon propre mouvement », précise le chorégraphe. Il s’est inspiré des danses rituelles d’Afghanistan et d’Azerbaïdjan pour créer une chorégraphie syncrétique, plus terrienne que d’habitude.

On retrouve cependant sa patte dans ces quelques touches d’humour trivial et surtout dans l’extraordinaire fluidité de ce groupe de danseurs, aussi changeant qu’une nuée d’étourneaux. Leur déluge, qui absorberait l’affrontement des corps, est cependant rattrapé par un présage ambigu : au vol de la colombe se joint celui d’un funeste corbeau…

 

Marie Soyeux,

le 15/05/2017  La Croix 

 

Ballet Biarritz: au commencement était la danse

François Delétraz Le Figaro Culture 

La nouvelle création de Thierry Malandain Noé sur une musique de Rossini explore avec brio et par la danse cet épisode de la Genèse.

Thierry Malandain est un des rares chorégraphes à faire le plein à chaque création. Sa dernière, Noé a attiré la semaine dernière quelque 1400 spectateurs dans la ville de Biarritz qui ne compte pourtant que 25 000 habitants. Et à Chaillot, on en attend 10 000 pour la reprise à Paris de ce dernier opus. Qui dit mieux?

Au fil des années, Thierry Malandain a habitué le public à des ballets faciles d'accès et à beaucoup de constance dans la qualité de ses spectacles. De quoi fidéliser les spectateurs! Le chorégraphe poursuit avec Noé son exploration de la danse néoclassique, épaulé par une troupe d'excellents danseurs. Tous sont présents du début à la fin, où ils alternent ensemble pas de deux et solos. Dès le lever du rideau on est séduit par l'esthétique. La simplicité du décor, d'abord: entièrement bleu pour symboliser l'eau. Seul accessoire: un long banc posé en fond de scène. Des tentures presque kitsch encadrent le plateau. Dans un ballet, la première image présage toujours de la qualité du spectacle. Autrefois, les compositeurs écrivaient des ouvertures d'opéra tonitruantes pour faire taire les spectateurs. Pour la danse, c'est l'image qui doit sidérer d'emblée. Le chorégraphe oblige ainsi le spectateur à quitter le tumulte pour l'intime, à abandonner le réel pour gagner le monde de l'inconscient.

La Messa di Gloria de Rossini

Avec un premier trio puis une sorte de vague que forment les danseurs, Malandain réussit brillamment son effet. La danse n'est jamais si belle que quand elle dit tout mais ne raconte rien. Dans ce ballet qui s'affranchit de la référence chrétienne, malgré les rôles d'Abel, Caïn, Adam ou Eve, chacun comprendra ce qu'il voudra mais tous retiendront cet espoir que représente la naissance d'un Nouveau Monde, sorti de l'eau, symbole de la vie exacerbée par les danseurs. Les gestes sont épurés, parfois tribaux, parfois aériens. Pour la musique, Thierry Malandain a choisi une œuvre peu jouée de Rossini: la Messa di Gloria dont il n'existe qu'un seul enregistrement chez Philips avec l'Academy of St Martin in the Fields.

Si Noé a voulu changer le monde en quarante jours, ici une heure de danse suffit à nous changer. On sort du spectacle confiant dans notre devenir et en accord avec nous-même. N'est-ce pas la fonction de l'art?

 

 François Delétraz Le Figaro Culture 

 

La Belle et La Bête  Création décembre 2015  Première  Biennale de la Danse  Lyon  septembre 2016

La Belle et la Bête: une noire splendeur signée Thierry Malandain.

Laurence Liban L' Express , publié le 

 

Avec La Belle et la Bête, nouvel opus créé à l’Opéra royal de Versailles en 2015 et présenté ce weekend à la Biennale de danse de Lyon, Thierry Malandain  apparait une fois de plus comme l’un des plus grands chorégraphes néoclassiques actuels. Alchimiste inspiré, cette fois plus symboliste que narratif, il place au coeur du célèbre conte la figure de l’artiste aux prises avec la création.  Puissant et magnifique.

Le noir sied à Thierry Malandain. A peine éteint le chatoiement doré du bal d’ouverture qui mobilise le Malandain Ballet Biarritz au grand complet, la symphonie Pathétique de Tchaïkovski nous entraîne vers les terres nocturnes où s’affronteront la Belle et la Bête. Déjà, le père de la Belle a cueilli la rose interdite. Il doit mourir. Cordes et bois raclent la partition tandis que deux filles en robes grises, les soeurs de la Belle privées de leurs atours par la ruine paternelle, lui réclament ce qu’il ne peut plus leur donner. Les habits d’ors volent et s’abattent au sol comme des oiseaux touchés. Les gestes sont hachés, répétitifs et bruts. Le ton est donné.

Thierry Malandain a coutume de le dire, sa vie, c’est la danse. Un mode d’être au monde, non un filtre mais un prisme, un outil d’élucidation de cette énigme qu’est l’existence, un moyen de la supporter, une possibilité d’être heureux parfois. C’est ce qu’il nous donne à voir ici, aussi bien dans l’emportement de sa superbe troupe que dans l’intimité des solos, duos et trios évoquant l’artiste déchiré entre l’esprit et le corps, chacun voulant sa part, s’accordant puis se désunissant. Ses interrogations, ses combats, ses victoires et ses défaites secrètes, sa mystérieuse accointance avec la beauté, tout est là, dans cette réflexion dansée qui touche à l’universel mais  sans grandiloquence, bien au contraire. Car, dans le mouvement incessant d’immenses rideaux noirs faisant glisser l’action d’un bord à l’autre, d’une vague à l’autre, Malandain glisse l’écume d’un humour qui est sa marque: corps escamotés dans l’ourlet des tentures, jeux de jambes à l’unisson, etc. .

En contrepoint de cette économie scénographique  à grand spectacle, les costumes de Jorge Gallardo enchantent l’oeil: redingotes baroques d’une folle élégance, tatouages brodés noir sur blanc, robe sculpture mouvante et dentelle cendrée pour la Belle, le tout rehaussé par les magnifiques lumières de Francis Mannaert. Là dedans se déploie tout l’art de Malandain. A la fluidité et à l’élan des ensembles répond le ferme dessin des duos et solos: la Belle (merveilleuse Claire Lonchampt) tangue et résiste à la Bête, puissamment interprétée par Mickaël Conte. Enfermée dans une solitude dont elle voudrait sortir, la Bête semble se déchirer, se désarticuler sous le coup de la souffrance. Une souffrance proprement inhumaine et qui émeut lorsque, répandu au sol et comme mort, son corps trésaille imperceptiblement sous la caresse de la Belle. Le visage masqué par ce qui semble être un collant noir, le danseur ne dispose que de son corps, de ses muscles, pour exprimer la finesse de ses sentiments. Malandain trouve en ce danseur l’interprète idéal de son texte chorégraphique, incarné de façon saisissante. La brisure d’un poignet, l’angle d’un coude, la violence, la vitesse, le saut, tout concoure à dire l’écartèlement de l’âme et du corps tel que la Bête, c’est à dire l’artiste, le vit dans la grande aventure de la création.

A ceux qui auront le bonheur de voir ce ballet en tournée, on ne saura trop conseiller de lire le programme avant la représentation. Ils n’en goûteront que mieux les subtilités philosophiques de cette mémorable soirée et la beauté de cette oeuvre au noir.

A voir lors d’une longue tournée française et internationale qui ira jusqu’en Colombie et aux Etats-Unis. En septembre et octobre à Echirolles, Saint-Etienne, Fréjus, Avignon, Reims, etc.   .

 

 

La Belle et la Bête de Thierry Malandain – Malandain Ballet Biarritz

Ecrit par : Amélie Bertrand pour Danse avec la Plume 

15 décembre 2015

.....''Après le succès de Cendrillon (qui continue toujours de tourner), Thierry Malandain reste inspiré par les contes, puisque La Belle et la Bête est sa dernière création. Le risque était grand de faire plus ou moins la même chose. Mais le chorégraphe esquive en faisant un ballet finalement pas si narratif que ça. Car l'histoire se mêle à une sorte de tragédie, celle de l'Artiste en train de créer, de faire et défaire ses personnages, pour finalement se retrouver seul. Un mélange narration/abstraction qui fonctionne, sans oublier la poésie.

La Belle et la Bête, cela évoque un château enchanteur et une sombre forêt. Mais sur scène, la sobriété est de mise (ce qui tranche d'autant plus avec les imposants décors de Cendrillon). Il y a juste un fond noir et des rideaux noirs. Ces derniers sont actionnés par les artistes sur le plateau, créant ainsi différents espaces au fur et à mesure des scènes. Ils sont un peu comme les pages d'un livre que l'on tourne, un peu aussi comme les méandres du cerveau de l'Artiste. Les personnages y apparaissent et disparaissent, comme des idées qui fusent. L'Artiste est personnifié, toujours entouré de son Corps et son esprit. Comme la Bête, il cherche à se sortir de sa condition, par sa création. Alors La Belle et la Bête, ballet narratif sur ce conte si connu, ou plutôt abstrait sur le chemin de l'Artiste en création ? Un peu des deux. Et c'est justement cette juxtaposition qui fonctionne.

Les parties sur le conte en lui-même jouent sur un certain émerveillement. Tout commence avec une valse étourdissante dans de magnifiques costumes d'or. La danse est légère et vive, aux belles lignes néo-classiques, mélangeant portés fluides et ensembles efficaces. Claire Lonchampt est la Belle idéale, juvénile et rayonnante, avec la pureté des princesses des contes.  ''.....

LA BELLE ET LA BÊTE DE THIERRY MALANDAIN, EN AVANT-PREMIÈRE À L’OPÉRA ROYAL DE VERSAILLES - BEAU ET SOMBRE - COMPTE-RENDU  JACQUELINE THUILLEUX 

pour concertclassic .com

C’est avec les vieux contes que l’on fait encore les meilleurs ballets ! Et les chorégraphes n’en finissent plus de puiser à ces sources de l’imaginaire mondial un renouvellement incessant pour leur modes d’expression, la portée de leurs messages, les fils à tresser pour remonter au plus profond des angoisses, des peurs et des désirs humains. Après les quêtes identitaires du XIXe siècle, les russes s’en emparèrent pour de grands spectacles, tandis que les Ballets de Diaghilev s’en détachaient ensuite, soucieux de sujets neufs. Mais le Kirov et le Bolchoï remirent à l’honneur ces féeries souvent lourdement démonstratives conçues pour montrer leurs superbes danseurs, et que Noureev à Paris allait imposer à Paris jusqu’à ces jours.

 

Pour les autres, Contes de Musaeus, de Perrault, de Grimm, d’Andersen, de Dumas sont revenus en foule inspirer les chorégraphes d’aujourd’hui, tels Neumeier (Cendrillon, La Belle au Bois Dormant, la Petite Sirène), et Jean Christophe Maillot ( La Belle, Cendrillon, Casse-Noisette) de Preljocaj (Blanche-Neige), et Maguy Marin (Cendrillon) à Béatrice Massin et Geneviève Massé, grandes dames du baroque . Aujourd’hui c’est Thierry Malandain, qui décidément trouve dans ces univers symboliques un répondant à ses questions, un tremplin pour ses sursauts, un jardin pour ses fuites.

On avait déjà eu à l’Opéra Royal de Versailles en 2013, un exemple de cette nouvelle inspiration, avec une Cendrillon qui depuis a fait un triomphe autour du monde, réclamée partout pour son chic inventif, sa vivacité piquante, sa douce poésie. Voici avec La Belle et la Bête, tiré de Madame Leprince de Beaumont, une nouvelle et toute autre embarquée au pays des contes, mais encore chez le Roi-Soleil où le ballet a été présenté en avant-première, avant la création officielle l’an prochain à la Biennale de Lyon. Le problème de Cendrillon était affectif, celui auquel Malandain s’est ici attaché est autrement profond, il soulève des vagues de méditations, et le chorégraphe toujours épris de quête métaphysique, voire mystique, s’y est plongé jusqu’à l’âme, qu’il fait incarner par une sorte de triade dont on perçoit difficilement la composante au début du ballet. Puis, comme il est normal dans une descente en soi, tout s’éclaire peu à peu et se fait nécessité.

Car contrairement à Cendrillon, beaucoup plus lisible, il s’agit ici d’un ballet codé, avançant à pas de loup pour dévoiler les ressorts cachés des êtres : la césure due aux apparences, la déchirure de la différence, le désir de transcendance. Malandain a repris de Cocteau (on rappelle son film fameux de 1946) le thème de la souffrance de l’artiste, partagé entre l’esprit et la chair, la forme et le fond, l’exposant avec le trio évoqué plus haut, deux hommes et une femme dont la présence intrigue fortement. Par delà la très habile registration de l’action grâce à des pans de voiles noirs qui manipulés sans cesse, définissent les lieux de l’action, l’artiste mène le jeu et s’en trouve dépassé.

 

Si pendant une première demi-heure, l’on cherche à décrypter une mise en place qui semble compliquée, tout en savourant une magnifique chorégraphie, la vraie rencontre des deux héros du conte fait basculer de l’attention à l’émotion. Dès lors, on est suspendus au duo qui oppose les deux êtres si dissemblables, bouleversés par la délicatesse avec laquelle leurs sentiments évoluent doucement, allant de la bestialité à la tendresse et à la sensualité, la souffrance de la bête, sa peur de se laisser apprivoiser et celle de la belle d’être conquise, au-delà des critères normaux de la séduction. Moments forts où la beauté des costumes de Jorge Gallardo, et du principal élément de décor, une table à pieds d’animaux, ajoute à la profondeur de l’échange dansé, progressant par séquences qui permettent à la Belle de revenir  se montrer périodiquement, dans un état d’esprit mouvant.

 

Il arrive que de grandes œuvres chorégraphiques s’appuient sur des musiques mineures, ainsi du Pavillon d’Armide, peut-être le bijou le plus parfait ciselé par John Neumeier sur l’inconsistante musique de Tcherepnine, mais en général le choix de partitions fortes aide notablement. Malandain, ici, a frappé fort en mettant son conte sous le signe de Tchaïkovsky, avec des emprunts divers notamment à Eugène Onéguine et Hamlet. Mais l’essentiel y reste lié à la 6e Symphonie, la Pathétique, qui conduit vers une fin angoissante et lourde de sens, alors qu’on se demande si le chorégraphe va achever son ballet sur quelque pas de deux jubilatoire peut-être, comme il est d’usage. Mais non, les eaux glacées de l’Adagio final se referment sur un univers qui n’a été que rêve, un voile recouvre les danseurs, les ramène dans le néant, et l’artiste avoue son échec et son impuissance.

 

Heureusement les interprètes, parmi les meilleurs éléments du Malandain Ballet Biarritz, se sont pénétrés en profondeur de ce message complexe, et en graduent très finement l’évolution. De la belle et souveraine Claire Lonchampt, sortie d’un album romantique, à l’étonnant Mickaël Conte, Bête puissante aux sauts impressionnants et à la souffrance contagieuse, outre la superbe précision d’Arnaud Mahouy et la force expressive de Frederik Deberdt, père de la Belle. Parler ici de néo-classicisme s’impose par le style des portés, le dessin des ensembles, la qualité des costumes, élégamment traditionnels, et même l’intrusion de quelques pointes pour la petite Patricia Velazquez, dans le rôle de l’Amour.

Mais ce n’est là qu’un mot, pour essayer d’englober ce style si complexe, riche de strates pas toujours faciles à démêler, qui révèle l’originalité profonde de son auteur. Et le ballet est certainement à voir et revoir, pour mieux cerner sa subtile progression. On félicite aussi l’Orchestre Symphonique d’Euskadi, dirigé par son chef, le Letton Ainars Rubikis, qui après avoir été à la peine au début du spectacle, a livré un final de la Pathétique de la plus haute tenue. 

Jacqueline Thuilleux

Posted By Nicolas Villodre on 16/12/2015

Après deux représentations exceptionnelles à Biarritz-Gare du Midi, ancien échange ferroviaire ayant supplanté pour l’occasion le centre du monde qu’est, théoriquement du moins et si l’on en croit Salvador Dali, celle de Perpignan, données dans le cadre élargi de “Saint Sébastien capitale européenne de la culture 2016”, le Malandain Ballet Biarritz, sonorisé live par l’Orchestre symphonique d’Euskadi sous la direction d’Ainars Rubikis, a présenté en avant-première, du 11 au 13 décembre 2015, dans l’espace, littéralement féerique, qu’est l’Opéra royal de Versailles, sa version perso du conte pour enfants, petits ou grands, La Belle et la bête.

Le récit (classé n° 425 C par les Ludwig von Köchel du conte populaire, Antti Aarne et Stith Thompson, inspiré de ceux d’Apulée, de Francesco Straparola, de Mmes de Villeneuve et de Beaumont) n’est ni clair, ni clairement énoncé, les mots pour le dire y étant inexistants, comme est absent tout recours au facile et archaïque langage pantomimique. De telle sorte que les “phrases” chorégraphiques s’enchaînent continument et comblent jusques aux brefs silences séparant les thèmes symphoniques pris chez Tchaïkovski, extraits d’Eugène Onéguine (1878), de sa Cinquième Symphonie (1888), de la Pathétique (1893), ainsi que de son Hamlet (1888). Du conte, on ne retient goutte, mais cela n’a guère d’importance, somme toute, puisque c’est de danse, non de littérature, qu’il s’agit


Parmi les chorégraphes tradi qui s’exportent le mieux de France et de Navarre (si tant est qu’Euskadi et Monaco fassent partie de ce découpage électoral), Angelin Preljocaj, Jean-Christophe Maillot et Thierry Malandain, ce dernier est sans doute le plus classique des trois. Preljo fait en effet sans cesse des incursions du côté du contemporain d’où il s’origine; Maillot, en ce milieu qui n’a rien de médiocre, s’en tient au néoclassique pur et dur, si l’on ose dire; Malandain, n’était quelque audace langagière (il préfère le pied quasiment déchaussé, la demie à la pointe, l’explicite non ostensible au gros symbole, etc.), continue à écrire comme on pouvait le faire avant la révolution russe de Diaghilev. De ce décalage horaire, le chorégraphe tire avantage. Paradoxalement, il se libère des contraintes et parvient à innover dans un champ miné de conventions.

 

Dans son adaptation de La Belle et la bête, avec force tambours et trompettes, la troupe en son entier paraît prise par la fièvre du samedi soir. Celle-ci est communiquée aux seconds comme aux premiers rôles par les standards de Tchaïkovski, impulsée et maintenue une heure trente durant par l’orchestre basque en pleine forme qu’aiguillonne le jeune chef à l’impeccable brushing. Dès lors, peu nous chaut la fidélité au prétexte invoqué – l’histoire à dormir debout d’une Psyché biface, voire bipolaire, sautant sur tout ce qui bouge, y compris coq et âne, revivifiée par Dr Freud et Mr Leid –, l’illustration du propos affiché, le nombre de frangins et frangines recrutés pour l’occasion (les trois sœurs tchékhoviennes réduites à deux en raison de la crise des subprimes). Nous étions là, en effet, pour voir le défilé et l’avons vu. L’écrin de l’opéra royal n’a pas besoin d’écran pour sublimer la danse. Nulle ligne budgétaire pour la scénographie n’a été dégagée. Tout pour la musique ou presque, celle d’un orchestre au grand complet, à base de violons, altos, violoncelles, contrebasses, flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, cors, trompettes, trombones, tuba, timbales et percussions garnissant la fosse.


Le reste pour la danse et des compléments pouvant l’aggrémenter : les costumes d’un goût très sûr, signés Jorge Gallardo et réalisés par Véronique Murat, les lumières dues à Francis Mannaert, deux tables-trois chaises néogothiques dessinées par Frédéric Vadé… Le ballet est réglé avec une précision diabolique. Le savoir-faire de Malandain n’est jamais pris en défaut. La diversité des corps se rit des vieux canons esthétiques et, filles et garçons, musculeux ou éthérés, XXS ou étirés, brunettes ou blondinets, s’unissent idéalement, idylliquement, exemplairement. Les quelques fixettes qu’il nous faut bien pointer ne serait-ce que pour rester crédible (rideaux tirés en long, en large et en travers, sous le moindre prétexte, à tout bout de champ, comme si le fondu au noir du jeu d’orgue était définitivement HS ; avec le peu de répit laissé aux danseurs comme aux spectateurs, l’excitation manque virer parfois à l’extinction des feux; grands écarts en veux-tu en voilà) n’empêchent pas la réussite de cette superbe entreprise.

 

Il convient de souligner que les moultes trouvailles chorégraphiques – les portés inédits, les glissades et roulades en tous sens, les contorsions circassiennes, le numéro cabaretier op’ de jambes en l’air décontextualisées rappelant les bizarreries abstraites de Pilobolus, les tenues tigrées clignant de l’œil aux femmes-panthères des Ziegfeld Follies – du créatif Malandain renouvellent un genre qu’on pensait suranné. Qui plus est, le couple-titre formé par Mickaël Conte et Claire Lonchampt est d’un très haut niveau interprétatif.


de Danse…

Parce que la danse ne dit rien, il y a beaucoup à en dire

La Belle et la Bête Thierry Malandain

décembre 16, 2015 //

 

Opéra Royal, Chateau de Versailles

A l’ouverture du rideau, d’autres rideaux et un personnage, incarné par trois danseurs aux costumes dépouillés. Il sera une sorte de narrateur de cette histoire dont il tire les fils en maniant les rideaux, seuls décors de la pièce. Dans ce contexte, le ballet suit le conte de Leprince de Beaumont avec fidélité. Les grands épisodes s’appuient sur 6 partitions de Tchaïkovski (deux mouvements des deux symphonies 5 et 6 et des extraits d’Eugène Onéguine et l’ouverture-fantaisie Hamlet). Ce choix musical tend à rapprocher ce ballet des grands modèles de Petipa dont il possède la magie fantastique et la fluidité. Sur le plan narratif, le résultat n’est cependant pas tout à fait pertinent. En ne voulant pas renoncer à la dimension symbolique, le chorégraphe rend parfois le propos confus. En revanche, ce choix d’aller dans le détail symbolique donne une profondeur passionnante. Ainsi en va-t-il de la dimension sexuelle et pulsionnelle du conte (souligné par exemple dans la « consommation » par le père de la Belle de la « rose blanche » favorite de la Bête -comprendre qu’il a couché avec la maîtresse d’icelui- ce que la danse marque fort bien. Une danse qui reste le point le plus fort du ballet, avec quelques moments de pur réussite comme le duo de Belle et la Bête se mourant de désespoir.

A noter,

Par le titre même, il faut pour ce ballet un beau rôle féminin (Claire Lonchampt, très juste). Mais il faut aussi un grand rôle masculin et cette exigence explique sans doute pourquoi, La Belle et la Bête n’a pas de version chorégraphique de référence. Surprenant car l’histoire est ancienne et très propre à l’adaptation chorégraphique sur le modèle des grands ouvrages du XIXème, mais révélateur de l’histoire de la danse. On peut souligner que Thierry Malandain augmente la difficulté en demandant outre la Bête (Mickael Conte) un autre grand rôle masculin, celui de l’artiste narrateur (Frederic Deberdt) singulièrement exigeant.

Une référence,  

Il a toujours manqué à cette histoire une véritable partition. Ravel a souvent été choisi (Par Cranko en 1949 par ex.), mais sans s’imposer. Même les contemporains ont hésité sur ce plan, ainsi Andy Degroat (1985) choisit Haynd. Le choix par Thierry Malandain de Tchaïkovski a sa logique. Cette belle musique contribue à une sensualité du propos, mais elle est parfois d’un pathos un peu étouffant.

verrielephilippe.wordpress.com

 


 

Thierry Malandain / La Belle et la Bête / A nouveau digne de tous les éloges

Par Gourreau Jean Marie-Critiphotodanse 

 

Mais comment diable fait-il pour toujours innover tant au niveau de la chorégraphie que de la mise en scène, à chaque nouveau spectacle ? Comment diable fait-il pour deviner, devancer même, les desiderata les plus ardents de son public ? Cela doit faire maintenant plus de trente ans qu'il m'a été donné d'assister aux premiers pas de Thierry en tant que chorégraphe néo-classique pour le suivre régulièrement depuis dans ses pérégrinations dans notre vaste monde, et cela fait plus de trente ans que je m'émerveille de son imagination débordante et débridée, de son inventivité, de son éclectisme, de son courage aussi car il en faut une bonne dose pour maintenir de nos jours contre vents et marées les spectacles de danse classique dans un paysage presque totalement conquis par la danse contemporaine ! Bref, le dernier né des Malandain, La Belle et la bête, est un nouveau chef d'œuvre et, réellement, le mot n'est pas trop fort. Il était logique qu'après le colossal succès de sa relecture de Cendrillon, d'aucuns lui susurrent à l'oreille de s'attaquer à un nouveau contes de fée... Or, La Belle et la bête est une œuvre qui n'avait, jusqu'à présent, à ma connaissance tout au moins, été traitée par l'art de Terpsichore que par Ethéry Pagava en 2013, ce sur une musique de Ravel. Comme pour Cendrillon, ce conte dont l'une des versions les plus anciennes remonte au IIème siècle et qui a été immortalisé par Cocteau en 1946, est truffé de concepts et symboles moralisateurs qui nous donnent à réfléchir sur la dualité de l'être ainsi que sur des valeurs souvent perdues, en l'occurrence l'amour filial, le courage et l'abnégation, l'affrontement du danger, la pitié, voire même, le sens de la beauté.

Thierry Malandain a choisi d'ancrer ce ballet d'action narratif et très théâtral sur différents extraits de partitions de Tchaikovski, les symphonies 5 et 6, ainsi qu'Eugène Onéguine et Hamlet. Si la chorégraphie, remarquablement adaptée à une musique qui lui sied comme un gant, regorge de variations d'une étonnante inventivité bien perceptibles par les balletomanes fervents de l'art du chorégraphe, c'est toutefois dans la scénographie que les trouvailles se révèlent les plus fascinantes, témoignant d'une maîtrise exceptionnelle de cet art. Raconter une histoire par la danse de façon à ce qu'elle soit compréhensible par tous, les petits comme les grands, n'est en effet pas l'apanage du premier chorégraphe venu ! Outre l'art du narrateur, il faut également faire voyager le spectateur dans l'espace et le temps aussi souvent que la trame de l'histoire l'exige. Or, Malandain eut l'idée géniale de séparer les différentes scènes et les "chasser" l'une par l'autre grâce au va-et-vient d'un vaste rideau tiré par les danseurs eux-mêmes tantôt de cour à jardin, tantôt de jardin à cour, créant ainsi à chaque fois de nouveaux espaces avec une remarquable économie de moyens. Une autre de ses idées, et non des moindres, fut d'évoquer l'histoire par un "artiste-narrateur", faisant ainsi du théâtre dans le théâtre, et l'on pourrait d'ailleurs regretter qu'il n'ait lui-même investi ce rôle... Quant à l'entrée et la sortie de ses personnages, pourquoi - entre autres - ne pas les faire passer carrément à plat ventre sous le rideau ? Une manière comme une autre peu conventionnelle, il est vrai, mais aussi ludique qu'originale, permettant de rompre avec les habitudes. L'œuvre est en effet émaillée d'une foultitude de petites trouvailles de cette sorte, plus divertissantes les unes que les autres, toujours sans prétention, lesquelles donnent une nouvelle dimension à ce ballet parsemé de piques d'humour qui ne nuisent point à son extrême raffinement, confirmant un chorégraphe d'une extrême sensibilité, plein d'esprit et de talent.

Je ne terminerai pas sans évoquer l'excellence des interprètes, tant les danseurs magnifiques dans leurs costumes chamarrés d'or que les musiciens car, lors de cette avant-première dans ce fabuleux écrin de l'Opéra Royal à Versailles, le Malandain Ballet Biarritz était accompagné par l'excellent orchestre Symphonique d'Euskadi dont les timbres éclataient, démultipliés par l'acoustique étonnante de l'Opéra Royal. Voilà un nouveau chef d'œuvre qui, tout comme Cendrillon, fera sans aucun doute date dans l'histoire de la danse.

J.M. Gourreau

La Belle et la bête  / Thierry Malandain, ballet donné en avant-première à l'Opéra Royal de Versailles du 11 au 13 décembre 2015 et qui sera officiellement créé en septembre 2016 à Lyon, dans le cadre de la Biennale de danse.



10 12 2015

"Une sublime création. La Belle et la Bête."

Roberto Raspiengeas à propos de la Belle et la Bête...

 

D'où me vient, dès l'ouverture des rideaux, la certitude que tout va se dérouler comme un long fleuve tranquille et majestueux?

Il n'y aura pas, je le sais, cette longue et souvent trop lente exposition, à la mode dans certaines chorégraphies actuelles, car Thierry Malandain entre toujours, tout de suite, dans le vif du sujet. 

Des rideaux noirs et souples comme des voiles de mousseline, tirés par des danseurs, permettent d'agrandir la scène où se découvrent tous les autres membres de la compagnie. Vêtus de magnifiques vêtements de Cour, dorés et lumineux, ils remplissent l'espace de leurs mouvements gracieux, dans un ballet joyeux de fête. 

Nous sommes dans le vif du sujet aux temps heureux, dans la famille de cette Belle, douce et généreuse. 

Bien sûr, nous savons aussi que l'histoire aura une fin heureuse pour cette Bête, prisonnière de la laideur de son corps, qui, au comble de ses tourments et de sa douleur, verra la Belle l'aimer pour elle même. Et cette Bête quittera, alors, ces oripeaux de chair et de poils, pour se transformer en Prince charmant. Nous savons tout cela qui suffit sans doute à nous laisser transporter par la musique si romantique de Tchaikovski suivie par les gestes élégants, enlevés et parfaitement coordonnés des exécutants.

Les tableaux se succèdent donc, sans temps morts, comme dans une poésie d'Aragon où les mots se succèdent dans le même écoulement harmonieux de l'eau pure et claire d'un ruisseau. 

On avance ainsi dans la beauté d'un spectacle qui s'exprime par l'énergie gracieuse des corps en mouvements superbes, dans ces costumes qui les habillent de tissus chatoyants, dans ce déroulé puissant et serein qui nous entraîne dans une sorte de bien être.

Certains exécutants retiennent plus l'attention par la maîtrise impeccable de leur art dans cette création. La Belle, toute de grâce juvénile et d'innocence, la Bête, fougueuse, folle de ses tourments affectifs, aux gestes étranges et pleins de cette sauvagerie animale dont la beauté fascine. L'artiste, sa fragilité apparente, vite contredite par la vigoureuse douceur de son jeu. Le père, enfin, qui danse merveilleusement l'expérience de l'âge et l'affection pour ses enfants.

Et puis il y a cet extraordinaire Daniel Vizcayo, au torse dénudé, qui exprime avec une grâce virile ce corps physique de l'Artiste avec un talent hors du commun. Dans chacun de ses précédents rôles dans les créations de Malandain, il m'avait déjà surpris par sa façon si originale et personnelle de danser, comme dans un style différent et remarquable que j'ai retrouvé, plus affirmé, cette fois encore.

Pendant cette heure et vingt minutes, nulle lassitude, ni répit pour nos sens qui sont sollicités sans cesse, par de nouveaux tableaux, sortis tout droit du cerveau prolifique, imaginatif, poétique et créatif de notre chorégraphe local et international.

Oui, encore une fois Thierry Malandain nous a offert une création achevée, sublime et somptueuse."

Roberto Raspiengeas


DANSE AVEC LA   PLUME  .FR   

Cendrillon  Création  juin 2013 

Une Cendrillon basquaise à Chaillot

Raphaël de Gubernatis-Le Nouvel Observateur 04 2014 

Candeur et lyrisme

<<Le rôle de la fée, ici plus mère que marraine, est interprété avec une élégance toute aérienne et avec tendresse par Claire Lonchampt>>

15 juin 2013

Concert Classic

Cendrillon de Thierry Malandain à l’Opéra Royal de Versailles

Il était enfin une fois...

Un vrai cadeau que le Cendrillon dansé à l’Opéra Royal de Versailles (dans le cadre du Festival « Les Voix Royales »), quelques jours après sa création à San Sebastián.

« Ce ballet, dit le chorégraphe, je ne l’ai pas tellement voulu. Je n’en portais pas vraiment le thème puis un concours de circonstances m’a emporté dans cette histoire, avec la demande de Laurent Brunner, directeur des Spectacles au Château de Versailles, lequel souhaitait nous inviter mais avec une Cendrillon, et le désir de l’Orchestre d’Euskadi de participer à une telle entreprise ». Il est ainsi, Thierry Malandain : simple, direct, jamais dupe,

souvent surpris de son succès, incapable de se vendre, mais désormais très demandé.

Et c’est ainsi que le beau conte a pris naissance: une sorte de récompense pour la fidèle et solide petite compagnie du Malandain Ballet Biarritz, qui a gagné ses galons à la dure, tant l’image de chorégraphe de Malandain, son impossibilité de s’affilier à la moindre chapelle l’isolaient quelque peu.

Un ovni, en gloire aujourd’hui dans le temple de l’art français.

Et ce n’est pas son Cendrillon qui l’inscrira dans un mouvement à la mode, car pour le passionné de Giselle qu’est Malandain, moderne de formes mais profondément classique dans l’âme, ce nouveau bébé est assurément à situer dans la grande tradition néo-académique. Avec un langage chorégraphié sur les bases anciennes, mais bourré d’inventions vivantes, piquantes, qui le replacent dans son siècle et non dans quelque vaine démarche nostalgique. Claire et vivement menée, l’oeuvre coule entre émotion et drôlerie, accrocheuse, habile et sincère à la fois, avec une beauté plastique qui n’est pas toujours le fait de Malandain, souvent plus âpre et complexe. Il en va parfois ainsi des pièces nées d’un jet, comme naturellement, sans avoir été trop pensées et nourries d’innombrables fantasmes.

 

Malandain cite Nietzsche dont la phrase « il faut avoir un chaos en soi-même pour accoucher d’une étoile qui danse », lui a donné le déclic créateur, et déclare avec la grâce humble et solide qui lui est habituelle: « nous avons fait de notre mieux pour chasser les nuages ». Disons qu’il s’inscrit tout simplement dans la lignée des grands qui ont édifié le répertoire classique de Taglioni à Neumeier, sans une ombre de mièvrerie démodée, comme un Fokine sut l’être en son temps, à la fois classique et totalement nouveau, et avec le même talent qu’un Maillot aujourd’hui.

Mélomane à l’instinct très vif, Malandain fait ressentir toute la cruauté burlesque de la partition de Prokofiev, ses sarcasmes et sa noirceur, tout en donnant aux duos des deux héros une dimension lyrique d’une beauté exceptionnelle. Sa petite Cendrillon, la très prenante Miyuki Kanei ,fait ainsi son entrée sur la scène royale avec ses pieds presque nus, tandis qu’autour d’elle pend une centaine d’escarpins. Elaguée, l’histoire se déroule suivant sa ligne habituelle, mais fourmille d’idées percutantes qui la réhaussent : ainsi le sinistre et cocasse tableau formé par la marâtre et ses filles, trio de travestis, où brille particulièrement le long Giuseppe Chiavaro, en robe à ruchés noirs, avançant comme une immense araignée sur ses cannes anglaises. Le rire qu’ils déclenchent n’est pas anodin.

 

Pour le reste, Malandain a effectivement gardé la dimension onirique du conte, avec une fée - la superbe Claire Lonchampt, récemment entrée dans la compagnie où sa longue silhouette et son port de tête de sylphide tranchent avec le physique plus sportif et charnel des danseuses de Ballet Biarritz. Autour d’elle, des elfes tournoyants qui dynamisent le ballet autant qu’ils l’aèrent du voile d’angoisse planant sur la douloureuse condition de la jeune fille malaimée.

Des pas de deux rayonnants, intensément musicaux, qui tendent les corps vers une libération venant comme une déchirure au plus profond de leur solitude.

Le tout en noir et blanc, accentuant le caractère mortifère de l’histoire sans la caricaturer exagérément, notamment cette valse qui fait tournoyer les danseurs avec des mannequins en grandes robes du soir, comme des oiseaux de nuit. Là aussi, on apprécie que les costumes de Jorge Gallardo soient

dessinés avec une éloquence aussi parlante que simple de lignes : discrets mais sans faute, ils accentuent la beauté franche et coupante du conte tel que l’a dessiné le chorégraphe.

Peut-être un tracé de pointe, pour une Cendrillon chaussant ses escarpins magiques, eut-il été pour elle symbole de libération et d’élévation. Mais ceci est une autre histoire...

L’essentiel demeure et nous enthousiasme autant qu’il nous émeut, en délicatesse : ce qui n’était pas un rêve pour le chorégraphe le devient aujourd’hui pour le public émerveillé, qui a réservé aux danseurs, transportés de joie de bondir sur ces planches historiques, à la séduction et au message si riche. En tête de pont, outre Miyuki Kanei et Claire Lonchampt, Daniel Bizcayo en prince, Giuseppe Chiavaro, Frederik Deberdt, Jacob

Hernandez Marin et l’impeccable Arnaud Mahouy ont fait des étincelles, tandis que l’Orchestre Euskadi, dirigé par le pétulant Josep Caballé-Domenech donnait la mesurede sa vitalité et de sa belle couleur sonore : une collaboration à suivre.

 

􀀂􀀁Jacqueline Thuilleux

Taglioni Award : Thierry Malandain « Meilleur Chorégraphe »

28 SEPTEMBRE 2014 PAR DANSERCANALHISTORIQUE 

« Meilleur chorégraphe » pour sa Cendrillon ! Thierry Malandain, actuellement en création avec le Staatsballett de Vienne (1), a été récompensé, le 27 septembre, par le jury international réuni à Berlin. Les critiques de six pays européens ont distingué cette création en vertu de son « art narratif complexe, la finesse de son humour, son style rafraichissant doté d’études psychologiques fines et pleines de surprises, tout maintenant un niveau technique des plus élevés avec sa compagnie comptant seulement une vingtaine de danseurs. »

Danser

17 juin 2013

Cendrillon est une vieille histoire que l’on connaît grâce à Charles Perrault et aux frères Grimm, mais il y en aurait eu une centaine de versions. Chorégraphiquement parlant, on connaît surtout celle, historique, de Rostislav Zakharov (pour laquelle fut conçue la partition de Sergeï Prokofiev en 1945), celle de Frederick Ashton et ses deux sœurs travestis, celle, très hollywoodienne de Rudolf Noureev et la fine et intelligente relecture contemporaine de Maguy Marin en 1985.

Il fallait donc une bonne dose de courage pour s’affronter au sujet. En l’occurrence ce fut une phrase de Nietzsche « Il faut avoir un chaos en soi-même pour accoucher d’une étoile qui danse » qui permit à Thierry Malandain de relever ce défi.

La première image qui transforme le plateau en boîte écrin pour des centaines d’escarpins noirs frappe les esprits autant que l’imagination. Celle-ci sera au rendez-vous tout au long de la pièce, truffée d’astuces aussi ingénieuses que savoureuses pour symboliser les éléments du conte. Ainsi d’une simple roue pour matérialiser le carrosse ou d’un dédoublement de la compagnie audacieux pour la grande valse du bal...

Au-delà de cette inventivité scénographique, la compagnie est exceptionnelle et sert à merveille un propos féérique avec délicatesse et humour.

Ne s’embarrassant pas de chevilles narratives, cette Cendrillon campe des personnages

au service de la danse pure. Les tableaux s’enchaînent sans le moindre temps mort et les relations entre solistes et ensembles sont si bien travaillées que le tout coule de source.

La danse est parfaite de justesse. Il faut dire que Thierry Malandain a l’oreille bien faite et sait utiliser toute la palette d’émotions contradictoires suggérées par un Prokofiev qui sait se moquer du pouvoir en place en l’affublant d’harmonies aussi grinçantes que grotesques.

C’est ainsi que la marâtre (Giuseppe Chiavaro) et ses filles (Frederick Deberdt et Jacob Hernandez Martin), déclenchent les rires malgré l’allure d’araignée de la mère flanquée de deux béquilles dont elle use à foison pour châtier ses filles et tout ce qui bouge autour d’elle. D’ailleurs l’allure du triovêtu d’un noir froufoutant et sinistre, leurs crânes rasés, les attitudes soumises des filles face à cette mère toute puissante et tentaculaire font immédiatement songer à la Maison de Bernarda.

Et la jolie Cendrillon (Miyuki Kanei) à la recherche d’une chaussure à son pied, a une grâce piquante et sensuelle qui pourrait bien être sacrifiée sur le théâtre de la cruauté.

 

La fée-marraine (Claire Lonchampt) aussi légère qu’un nuage, aussi fluide qu’une rivière, aussi fine et rapide que les Elfes qui la suivent danse avec simplicité une partition d’une complexité subtile. Les hommes quant à eux, notamment le Père (Raphaël Canet) et le Prince (Daniel Vizcayo) ont une élasticité dans les sauts, et une puissance de giration

rares. La chorégraphie se sert d’ailleurs intelligemmentd’un large vocabulaire classique remis au goût du jour, utilisant même des figures assez virtuoses que l’on voit de moins en moins souvent comme rotirons, sauts de basque en tournant (normal à San Sebastian !)... tandis que les pas de deux se déploient dans une belle musicalité, soutenue par l’orchestre symphonique d’Euskadi.

Aucun doute, le chaos a bien libéré une étoile dansante, elle s’appelle Cendrillon.

 

􀀂􀀁Agnès Izrine

Alta Musica

15 juin 2013

Un petit bijou

Dans le cadre du Festival Voix royales troisième du nom, Thierry Malandain a présenté à l’Opéra Royal de Versailles, aussitôt après sa création à San Sebastián, sa dernière chorégraphie sur le conte Cendrillon sur la musique de Serge Prokofiev. Un véritable

bijou d’humour, finesse et subtilité qui compte parmi ses plus belles chorégraphies.

Thierry Malandain a longtemps différé sa Cendrillon sur laquelle plane l’ombre de la réalisation, devenue référence, de Maguy Marin pour l’Opéra de Lyon en 1985.

Il l’avait approchée en réglant les parties dansées de l’opéra éponyme de Jules Massenet créé à Vaison-la-Romaine en 1988, mais pour le ballet de Serge Prokofiev restait encore à franchir le pas et surtout d’en surmonter les exigences en terme d’effectifs notamment pour la scène du Bal.

Réglée pour vingt danseurs, sa Cendrillon fait appel à un supplément de participants avec l’aide astucieuse de mannequins noirs en robes longues montées sur roulettes un peu

dans l’idée de ceux inventés par Jiri Kylián dans sa pièce Petite Mort. Mais ce n’est pas la seule idée de ce spectacle qui en fourmille autant dans la réinvention des accessoires (le

carrosse est figuré par un énorme cerceau, la pantoufle de vair par un stiletto noir) que chorégraphiques.

La plus spectaculaire et d’avoir confié les rôles de la marâtre et des deux sœurs chipies à des hommes. L’immense Giuseppe Chiavaro, un fidèle de Malandain, est revenu pour cela et juché sur des béquilles,il fait penser à un grand héron, flanqué des deux soeurs (Frederick Deberdt et Jacob Hernandez Martin) dont l’anatomie dorsale musclée et les crânes rasés ne laissent planer aucune équivoque sur leur sexe.

Effet comique garanti, mais virtuosité malandienne oblige, aucune surcharge, aucun effet vulgaire, on est dans la finesse absolue. De même, la Cendrillon de Miyuki Kanei est tout en simplicité et en effacement autant dans sa petite robe grise que celle qu’elle revêt pour le Bal une simple tunique blanche dans laquelle elle séduit un prince en juste au corps gris perle, l’excellent Daniel Vizcayo, pilier du Ballet Biarritz.

 

La fée de Claire Lonchampt est exquise, maternelle à souhait et tous les danseurs très engagées dans une chorégraphie exemplaire, toujours fluide et parfaitement lisible, une

des meilleures à ce jour de Thierry Malandain.

Le travail de Jorge Gallardo est aussi à louer avec un cadre de scène vide mais délimité par des alignements de la fameuse chaussure, ici un escarpin verni noir et des couleurs très neutres pour l’ensemble des costumes. Avec de très jolis éclairages, cette simplicité fait merveille dans le luxueux cadre d’or de bleus-verts de l’Opéra Royal de Gabriel.

On ne soulignera jamais assez le luxe d’avoir un véritable orchestre dans la fosse pour un

spectacle de danse, surtout dans l’acoustique admirable car parfaite de cette salle unique. Pour cette Cendrillon, ce n’est qu’éphémère car une bande remplacera ensuite l’excellent Orchestre symphonique d’Euskadi de San Sebastián, qui malgré quelques tempi un peu trop lents et parfois un manque de mordant indispensable à cette musique si grinçante donne, sous la direction de Josep Caballé-Domenech, de la magnifique partition de Prokofiev une

lecture d’une clarté remarquable.

Il ne faudra pas manquer les reprises de ce merveilleux spectacle qui se partagera pendant la saison prochaine entre l’Espagne et la France, notamment au prochain festival le Temps d’aimer à Biarritz (6 septembre) et au Théâtre national de Chaillot (avril 2014).

Olivier Brunel

 

Toutelaculture

Soyez libre, Cultivez-vous !

http://toutelaculture.com

La magnifique Cendrillon de Thierry Malandain

 

Il n’est pas aisé de s’attaquer à des oeuvres narratives et encore moins à des contes populaires tels que

Cendrillon. Cette histoire que tous les enfants connaissent grâce à Charles Perrault (1697) et aux frères Grimm (1812), fut la source de centaines autres versions et adaptations au théâtre, à l’écran et à l’opéra. En danse, Prokofiev commence l’écriture de Cendrillon en 1941 en s’inspirant de Perrault et la première représentation a lieu en 1945 au théâtre Bolchoï dans une chorégraphie de Rostislav Zakharov.

Thierry Malandain, directeur du CCN de Biarritz propose avec brio une interprétation très personnelle bien que fidèle à Perrault. Son unique changement est de concentrer les pouvoirs protecteurs de la marraine et de la mère dans le seul personnage de la Fée. Sa création pour vingt danseurs sur la musique de Prokofiev est un ravissement d’une rare intelligence où toutes les situations et sentiments ne sont jamais appuyés mais dessinés avec raffinement.

Sur le plateau de la très belle salle toute en bois du Kursaal de San Sebastián (Espagne), l’unique décors (Jorge Gallardo) est une sorte de rideau composé de près de trois cents escarpins noirs tenus par des fils de nylon presque invisibles qui se juxtaposent aux trois murs de la scène. Cette idée originale plante le sujet et donne un coté aérien et magique.

Vêtus de justaucorps de couleur chair, les danseurs installent l’intrigue. Ensuite, apparaissent les personnages clés : Miyuki Kanei dans le rôle de Cendrillon. Fine, gracieuse et délicate elle danse et joue à la perfection cette jeune fille maltraitée puis amoureuse du prince et enfin sauvage et farouche après les fameux douze coups de minuit.

La Fée, Claire Lonchampt,chaleureuse et protectrice mène à bout ses intentions avec élégance.

Le père, Raphaël Canet fait songer à un saltimbanque bohème et irresponsable. Il semble difficile de ne pas tomber amoureuse du Prince, Daniel Vizcayo. Viril et charmeur, il ensorcelle toutes les femmes de son

entourage. Enfin, la belle-mère et ses filles Javotte et Anastasie, sont interprétées par trois hommes : Giuseppe Chiavaro, Frederik Deberdt et Jacob Hernandez Martin. Une idée géniale qui donne un poids considérable à cette oeuvre non seulement grâce aux virgules d’humour propres à Thierry Malandain mais surtout par le fait que ces trois personnages deviennent burlesques donc si ridicules. Ils sont tous les trois extraordinaires.

Il y a dans cette pièce un mélange de sobriété, de malice, d’humour, de pureté et de richesse qui s’entremêlent par le biais d’une écriture chorégraphique très ciselée, diablement belle et gracieuse. Ce ballet sur demii- pointe enchante du début à la fin grâce aussi à l’immense qualité technique des interprètes mais aussi du fait que Thierry Malandain a étudié avec infiniment de précision le coté psychologique de chaque personnage. La scène du cours de danse initiée par l’excellent Arnaud Mahouy dans le rôle du maître de Danse restera dans les

annales. Tant parce que c’est terriblement drôle dans son coté clin d’oeil à l’échauffement du danseur à la barre mais aussi parce que l’on pense à l’invention de Thierry de sa fameuse gigabarre qui se déroule depuis des années en bord de mer lors de son festival Le Temps d’Aimer à Biarritz (du 6 au 15/09/2013). Pour le bal, le chorégraphe a eut l’idée d’intégrer des mannequins sans têtes afin d’étoffer le nombre de participants. C’est aussi un très beaumoment de pure danse.

Seule la direction de l’orchestre Symphonique d’Euskadi (pays basque, Espagne) très lente de Josep Caballé-Domenech laissait un peu à désirer lors de la première . Il est évident que les choses seront totalement au point lors des prochaines représentations.

De nombreuses idées et images ponctuent cette splendide et brillante Cendrillon. Et même si l’amour et le rêve sont les points d’orgue de cette histoire, Thierry Malandain n’omet pas d’effleurer des sujets universels tels que la maltraitance, la xénophobie et la solitude. Tout cela sans jamais sombrer dans le narratif trop lourd ni dans le conte à l’eau de rose.

Du beau, du grand, du vrai ballet !

Sophie Lesort

Sidi Larbi Charkaoui    '' Labyrinthe ''  création pour le Het Nationale Ballet   Juin 2011