Prix de la "Meilleure compagnie" 

pour "Noé", décerné par l'Association professionnelle de la critique de Thêatre, Musique et Danse.

Création en co-production avec le Théâtre National de Chaillot

 

"A travers le mythe du Déluge, commun à diverses traditions, la figure réjouissante de Noé incarne une sorte de rupture dans l’histoire de l’humanité. Résumant le passé et préparant l'avenir, elle symbolise la naissance d’un nouveau monde, meilleur que le précédent. Une seconde Création gommant la première altérée par le mal et la défaillance des hommes. Par conséquent, un nouvel Adam, non pas tiré de la terre, mais tiré de l’eau, qui dans la Genèse intervient d’abord comme un élément mortel avant d’être symbole de vie, puisqu’au sortir de l’Arche, à la fois matrice et berceau, Noé et les siens vont repeupler le Monde.

Ce récit qui fait suite à des épopées de même nature s'interprète à plusieurs niveaux. Ainsi, Saint-Augustin s’essaya à démontrer que les proportions de l’Arche correspondaient à celles du corps humain, « qui est aussi le corps du Christ, qui est aussi l’Église », tandis que Paul Claudel fit de l’Arche salvatrice une cathédrale, une nef naviguant dans le ciel.

On peut aussi imaginer faire de Noé un être humain collectif montant dans l’arche de lui-même, pour liquider une existence passée et repartir de zéro en allant puiser de nouvelles énergies dans les abysses de son être. C’est pourquoi, excepté la colombe, signe d’espérance d’une nouvelle vie, nous n’embarquerons pas l’intégrale des animaux, juste une humanité en mouvement, figure symbolique et dansante de Noé aux rayons d’un soleil nouveau."

 

Thierry Malandain 

 

NOÉ, UNE HUMANITÉ EN MOUVEMENT

"Thierry Malandain chorégraphie un très beau rituel où la communauté humaine cisèle ses actions et ses relations, et dessine le futur et ses possibles.

 

A partir de la figure de Noé et du mythe du Déluge, Thierry Malandain crée un ballet épuré, limpide et vibrant, qui convoque une humanité en mouvement et questionne notre destin collectif, destin qui à chaque génération se poursuit et recèle aussi la possibilité d’un changement. Chorégraphié sur la majestueuse Messa di Gloria de Rossini, l’œuvre se déploie comme un rituel où la transcendance se serait effacée pour laisser aux hommes tout le pouvoir de leur libre arbitre. Les vingt-deux danseurs demeurent presque toujours présents sur le plateau, témoins ou acteurs, et les corps dansants expriment superbement toute la diversité des relations : une communauté soudée, reliée, sereine, ou alors affolée, perdue, déboussolée. Une humanité aux bras ballants, sans volonté, entraînée tout entière dans l’automatisme du renoncement. Ou une humanité à l’innocence retrouvée, bras levés et tendus vers l’avenir, capable de portés confiants, prête pour l’amour et pour repeupler une planète vide !

Régénération ou persistance du pire ?

Noé et son épouse sont ici de nouvelles figures d’Adam et Eve, et la figure du couple est un axe important dans la pièce. Le Déluge constitue une rupture radicale, envisagée comme la possibilité d’une régénération. Logiquement, aucun animal ne s’invite dans cette affaire trop humaine, si ce n’est lors d’un passage merveilleusement dansé unissant le corbeau et la colombe. La montée des eaux enferme la communauté dans un écrin bleu matriciel conçu par Jorge Gallardo. Lorsque l’eau redescend et laisse voir le noir nu des murs du théâtre, l’homme se trouve livré à lui-même, dans un monde qu’il habite de toute sa puissance. Evénement fondateur, le meurtre d’Abel par Caïn interprété par deux danseurs à la forte présence installe la violence au cœur de la chaîne humaine. Le chorégraphe n’affiche aucun optimisme : si le pire n’est pas certain, il est toujours en embuscade. Servie par la remarquable technique des danseurs, l’œuvre interroge notre commun futur si incertain, avec une émouvante maestria."

Agnès Santi

 La Terrasse  mars 2017